Stacks Image 67184
août 1997
17 x 24 cm
160 pages
ISBN 2-908929-45-7

20,58 €

Madame mon copain
Élisabeth Prévost
et
Blaise Cendrars

Textes établis par Monique Chefdor,
Autour de 31 lettres inédites de Cendrars, des documents, textes et photos nous racontent l’histoire d’une amitié exceptionnelle.


Élisabeth Prévost naît en 1911 et consacre sa jeunesse à élever des chevaux de concours hippique dans les Ardennes.
À 23 ans elle s'embarque dans une vieille Ford pour une traversée de l'Afrique d'Alger au Mozambique où elle cherche une mine d'or abandonnée. Elle participe également à une expédition scien­tifique de chasse au Tchad.
C'est à peine rentrée de ces expéditions et de bien d'autres qu'elle ren­contre en 1938 Blaise Cendrars. En écoutant les récits de chasse de la jeune exploratrice, Cendrars à l'impression d'écouter ses propres « his­toires vraies ». « Écrivez. Écrivez-donc Babette » ne cessa-t-il de répéter lors de ses fréquentes visites en 38-39 à la propriété des Ardennes où Élisabeth élève et dresse ses chevaux.
Mais ce n'est que 25 ans plus tard, alors que Cendrars n'est plus de ce monde qu'elle écrit ses premières nouvelles.
Entre temps, elle vit plus d'une vie. Traversant le monde du théâtre aux côtés de Louis Jouvet et de Jean Vilar nous retrouvons notre auteur dans Je monde du cinéma au Chili et au Portugal puis dans l'île de Formentera où de 1958 à 1965 elle élève des lapins. Puis vient la pêche au saumon en Irlande et au Québec d'où elle rapporte un premier reportage. Car c'est comme reporter qu'Élisabeth Prévost fit trois fois le tour complet et deux fois le demi-tour du monde en cargo, en goélettes ou en train.
À soixante-dix-huit ans elle entreprend son dernier tour du monde en cargo sur le parcours de La Pérouse avec escale à l'île de Pâques. Élisabeth Prévost s'est éteinte le 28 novembre 1996. Elle a élu l'île d'Houat comme dernier port d'attache.
En 1938, on présente à Blaise Cendrars une jeune fille de retour d'une expédi­tion africaine. Elle a 27 ans, et déjà une vie d'aventurière qui ne peut que séduire Blaise. Élisabeth Prévost, cette impressionnante Diane chasseresse, l'invite à visiter son élevage de chevaux de concours hippique dans les Ardennes. Une profonde amitié s'installe entre eux.
Autour des trente et une lettres de Blaise Cendrars, sauvegardées par bonheur ou hasard, alors qu'elles auraient pu tout aussi bien disparaître dans l'incendie de la propriété d'Élisabeth Prévost dans les Ardennes, cet ouvrage rassemble des textes et des documents illustrant le dialogue qui s'établit entre les deux amis.
Dans l'extrait de L'Homme foudroyé, Blaise Cendrars brosse un portrait mémorable d'Élisabeth Prévost sous le célèbre surnom « Diane de la Panne ». L'imaginaire de !'écrivain s'y donne toute liberté. Par l'évocation de ses propres souvenirs Élisabeth Prévost lui répond à travers le temps.
De larges extraits d'un scénario de film écrit en collaboration par Blaise Cendrars et Élisabeth Prévost témoignent de leur complicité, la mise en page des textes en parallèle permet de découvrir leurs apports respectifs dans cette entreprise.
li est indéniable que le romancier a « déteint» sur l'exploratrice. « Madame le copain » tiendra bien la promesse qu'elle s'était faite de « poursuivre les rêves » du poète. Dès que les circonstances le lui ont permis, elle entreprit de faire tous les voyages que Blaise avait faits ou rêvait de faire : le Transsibérien, l'Amazonie, le tour du monde en cargo, le Canada, la Patagonie ...
Mais surtout elle finit par réaliser le vœu de Cendrars qui lui répétait chaque jour pendant ses visites aux Aiguillettes : « Mais Bee & Bee écrivez. Écrivez­donc ».

Les éditions Joca Seria ont publié sous le titre « Les Carottes au Plaza » deux nouvelles d'Élisabeth Prévost présentées par Monique Chefdor.


Revue de presse

Le Monde
20 mars 1998



L'amazone et le bourlingueur

Par VALERIE CADET

Cendrars surgit toujours au lieu et au moment oщ on ne l'attend pas. Homme " du monde entier ", pressé de vivre et de raconter а fond et а fond de train ; homme de style et d'érudition pour couvrir cette matière bouillonnante.
Suite а la découverte, trente-cinq ans après la mort de l'écrivain, de la mythique Légende de Novgorod, son premier texte traduit en russe en 1907, voici que se dissipe le flou de deux années de sa vie 1938 et 1939 jusqu'alors connues des seuls spécialistes. La correspondance de Blaise Cendrars avec Elisabeth Prévost 31 lettres réchappées de la guerre témoigne non seulement d'une amitié amoureuse mais aussi des préoccupations d'un homme qui n'en menait pas large, dans tous les sens de l'expression soucis d'argent, panne d'écriture, panne de coeur.
Elle, native de Charleville, bourlingueuse avйrйe, bonne descente et sacré coup de fusil, pionnière intrépide de lieux interlopes interdits aux femmes, ignore tout de celui auquel des amis bien inspirés la présentent. C'est une jeune femme de vingt-sept ans, bien incapable au premier regard de donner un âge а son interlocuteur : " En réalité Blaise Cendrars avait environ trente ans de plus que moi. Mais nous aurions pu être du mкme âge. Moi, le sien, et lui, peut-être le mien. Je ne crois pas au décalage horaire dans ce domaine. "
Rendez-vous sur le zinc du père Lampen. Cendrars est tout ouпe ; exhorte l'aventurière а coucher noir sur blanc tout зa, qu'il promet de faire publier par son ami Lazareff dans France-Soir. Elle, moins embarrassée d'action que de mots, ne songe qu'à repartir vers ses forêts et ses chevaux. Courtes missives, insistantes. " Puisque nous n'arrivons pas а nous comprendre, venez dйjeuner au ranch ardennais. C'est facile : gare du Nord. Train. Descendre gare d'Hirson. Un car. Arrêt а un bistrot après une demi-heure de route. Prenez un verre. La carriole, le cocher et le cheval vous attendront. Trois quarts d'heure de route de campagne. Et je vous attends. " Formules idoines, auxquelles Cendrars réplique tout de go : " J'arrive demain. "
Le printemps aux Aiguillettes, au cфtй d'une " Bee and Bee " bourdonnante d'activité, est une bйnйdiction. Entre deux éclipses parisiennes pour se renflouer, il se remet а travailler " énormément et régulièrement ". " Tout ce qui m'arrive actuellement est prodigieux et mкme si je devais rentrer demain matin, j'aurais l'impression de revenir d'un autre monde, écrit-il а son ami Jacques Henry Levesque le 19 août 1938, car c'est peut-être pour la première fois de ma vie que j'ai l'impression de ne pas кtre en voyage, en visite, en curieux, mais de prendre racine par en haut et par en bas. "
Février 1939 est au plus tendre. Dans un pli daté du 11 au matin, il annonce а Elisabeth que le frиre de Renй Clair lui a demandй un scénario sur Saumur cela devrait s'intituler L'Eperon d'or , pour lequel il compte bien sur la collaboration de son amazone : " J'avoue que l'idée de faire зa avec vous, de ne pas pouvoir me passer de vous dans cette affaire, m'excite prodigieusement... "
Il adore ses lettres et tйlйgrammes " so strictly business ! ". Le plus savoureux s'ensuit, qui dйtaille par le menu les emballements et les impasses du projet cinématographique, puis, а l'été 39, de celui d'un tour du monde а bord d'un " quatre-mâts, pour une durйe de douze mois, faisant route entre Helsinki, via Southampton, pour l'Australie ". Survient la déclaration de guerre. Séparation, exode, périple. Elle le retrouve dans un petit jardin d'Aix-en-Provence : " Nous passвmes deux heures en propos tristes et évasifs. Ni l'un, ni l'autre ne voulant voir le bouleversement de l'autre. Il souffrait de la guerre perdue, de l'occupation atroce, comme de son bras coupй. "L'Homme foudroyé". Il m'accompagna au car pour Marseille... "
Tout ne s'arrête pas lа. Jusqu'à sa mort, en 1996, Elisabeth accomplit un а un les voyages, vrais ou rкvйs, de Blaise. Puis rйpond enfin en quelques nouvelles trépidantes, а son injonction : " Mais Bee & Bee, écrivez. Ecrivez donc ! "

VALERIE CADET